CRISPR/Cas

Modification du génome par CRISPR/Cas

CRISPR/Cas: derrière ce nom étrange se cache la nouvelle méthode de manipulation du génome, une découverte majeure dans l’histoire des sciences de la vie qui souligne l’importance de la recherche fondamentale. CRISPR/Cas permet en effet de modifier le génome de façon ciblée, simple et rapide. Il devient ainsi relativement abordable de neutraliser des gènes et des séquences ADN ou de les remplacer pour ajouter de nouvelles caractéristiques. Comme les séquences CRISPR sont présentes dans quasiment tous les organismes vivants, la méthode CRISPR/Cas comporte de nombreuses applications.

La lutte pour la survie

Comme les humains, les bactéries et les plantes peuvent elles aussi attraper des virus. Chez nous, le système immunitaire se charge de combattre l’infection. Les bactéries disposent d’un mécanisme similaire pour se défendre contre les virus: elles développent des parties des séquences ADN des virus dans leur propre génome. C’est ce que l’on appelle les CRISPR, clustered regularly interspaced short palindromic repeats, que l’on peut traduire par «courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées». Les séquences CRISPR servent de signal de reconnaissance permettant aux bactéries de déjouer l’attaque répétée des virus. Si un même virus essaie d’infecter à nouveau la bactérie, un complexe CRISPR/Cas – composé de molécules d’ARN (des copies réduites des gènes) et de protéines Cas – se forme et détruit l’intrus. Dans cette situation, les protéines Cas agissent comme des ciseaux moléculaires.

Une grande découverte

Actuellement professeur à l’Institut de biochimie de l’Université de Zurich, Martin Jinek a précédemment été chercheur postdoctoral dans le laboratoire de Jennifer Doudna qui, en collaboration avec Emmanuelle Charpentier, a découvert en 2012 l’utilité du complexe CRISPR/Cas pour la technologie génétique. Lorsque les chercheurs ont réalisé que la protéine Cas9 coupait spécifiquement l’ADN et que ce processus pouvait être influencé de l’extérieur, ils ont compris qu’ils avaient fait là une découverte qui allait révolutionner ce domaine. On savait en effet déjà comment modifier le génome depuis plus d’une vingtaine d’années, mais les méthodes connues jusque-là (comme les nucléases à doigts de zinc et les TALEN) étaient longues et coûteuses. La méthode CRISPR/Cas permet donc désormais de neutraliser un gène chez la souris, par exemple, en quelques semaines seulement, alors qu’il aurait fallu plusieurs mois avec les systèmes précédents.

Application de la méthode CRISPR

Pour modifier un gène de façon ciblée avec la méthode CRISPR/Cas9, il faut composer à l’aide d’un ordinateur, puis synthétiser, une section d’ARN comportant au moins 18 bases et correspondant (de façon complémentaire) au brin d’ADN que l’on veut couper. Ensemble, cet ARN-guide et la protéine Cas9 font office de ciseaux moléculaires et coupent le génome à l’endroit souhaité. Cela engendre une interruption de la double chaîne et endommage l’ADN, qui doit alors être réparé. Les cellules humaines disposant de deux mécanismes de réparation, on peut choisir d’utiliser l’un (recombinaison homologue) ou l’autre (non homologue) selon la modification voulue dans l’ADN. De cette manière, il est possible de neutraliser des gènes ou d’ajouter de nouvelles séquences dans le génome. Cela permet également de corriger des problèmes ou des mutations dans le génome, en remplaçant tout simplement la séquence défectueuse.

Comprendre et guérir les maladies

Cette nouvelle technique connaît un incroyable succès et trouve de nombreuses applications dans la recherche fondamentale ainsi que dans les biotechnologies, notamment dans la production de biocarburants, de biomatériaux ou de médicaments élaborés à l’aide de micro-organismes génétiquement modifiés. Dans le domaine de la recherche médicale, la méthode CRISPR/Cas peut aider à mieux comprendre le fonctionnement de pathologies modernes telles que le diabète, les maladies cardio-vasculaires ou encore la maladie d’Alzheimer, qui sont imputables aux nombreuses modifications dans notre génome. Alors qu’avec les méthodes précédentes, on ne pouvait neutraliser ou modifier qu’un ou quelques gènes à la fois, les chercheurs sont désormais en mesure, pour la première fois, de générer toutes ces modifications en même temps et de façon ciblée dans des cultures de cellules ou dans un modèle animal, afin de trouver ensuite des applications thérapeutiques. Pour ce faire, il faut d’abord comprendre quelles sont les mutations qui jouent un rôle dans le développement d’une maladie génétique.

CRISPR/Cas présente également un certain intérêt pour l’industrie: plusieurs start-up spécialisées dans les applications de thérapie génique ou dans l’amélioration des traitements contre le cancer ont d’ailleurs déjà vu le jour.

Les organismes modifiés par CRISPR ne sont pas des OGM, si?

CRISPR a aussi fait son entrée dans les phytosciences. En Chine, un groupe de chercheurs a déjà utilisé CRISPR/Cas pour produire du blé résistant à l’oïdium. Ce genre d’application était jusqu’ici impossible, car le génome du blé est très complexe. En effet, à la différence de l’ADN humain, qui comporte des chromosomes diploïdes, le blé possède des chromosomes hexaploïdes. Cela signifie que le même gène est présent en six exemplaires et doit donc être neutralisé six fois. D’autres études visant à établir une résistance naturelle dans les aliments de base tels que le riz ou le manioc sont en cours.

Il est intéressant de noter que les végétaux modifiés à l’aide de la méthode CRISPR/Cas ne sont pas différents de ceux produits de manière naturelle ou par mutagénèse, dans la mesure où les gènes ajoutés ou les mutations corrigées peuvent aussi apparaître naturellement. A posteriori, rien ne permet donc de prouver de quelle manière la plante a été produite, car le résultat ne se distingue pas des méthodes de culture habituelles. La Commission européenne déterminera donc dans quels cas les plantes ainsi modifiées devront être considérées comme des organismes génétiquement modifiés.

Thérapie du futur

Cependant, la méthode CRISPR/Cas n’est pas parfaite. Il peut arriver que ce système coupe des sections d’ADN qui n’auraient pas dû être touchées. C’est ce que l’on appelle des effets «hors-cible» (off target effects). De nombreux laboratoires travaillent donc actuellement sur ces problèmes, avec l’objectif de rendre cette méthode plus spécifique. Une nette amélioration a déjà pu être atteinte avec la variante de synthèse de la protéine Cas9. Outre la réduction des effets hors-cible, il s’agit également d’augmenter l’efficacité de cette approche, au moins dans les applications de thérapie génique. En effet, CRISPR/Cas ne coupe pas aussi bien toutes les cellules et, parfois, seule une partie de la cellule porte la modification souhaitée. Cela n’a toutefois pas d’incidence dans les traitements ex vivo, puisqu’ils consistent à prélever des cellules chez un patient, à les soumettre au système CRISPR/Cas dans une boîte de culture, puis à séparer les cellules modifiées des autres. Les cellules ainsi sélectionnées sont alors développées, puis réinjectées dans le corps du patient. On parle ici de transplantation autologue. A l’avenir, ce genre de thérapie pourrait être envisageable pour les pathologies liées au sang, telles que l’hémophilie. Une première étude clinique de phase I est déjà prévue dans ce domaine pour les deux prochaines années.

CRISPR va révolutionner le futur de la médecine. Le bouleversement a déjà lieu dans la recherche fondamentale: depuis la publication de Jinek et al. en 2012, le nombre d’écrits scientifiques et de brevets dans ce domaine est monté en flèche. Nous attendons les développements à venir avec enthousiasme.